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Les Origines Controversées du Sous-Développement

(1ère partie) Par James Boyard*

En marge à la réunion du G20, le 8 juillet 2017, le nouveau président français, Emmanuel Macron, déclara devant des journalistes internationaux que « le sous-développement en Afrique était civilisationnel ». Ces propos non moins anodins qui rappellent tristement le fameux discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, prononcé le 28 juillet 2007 à l’université Cheikh-Anta-Diop, témoignent de la controverse qui continue d’exister autour des origines du sous-développement dans le tiers-monde.

L’objectif de ce texte est de mettre en dialogue les principales théories du sous-développement, afin de démontrer que le succès du discours occidental tient plus du contrôle que cette partie du monde exerce sur le système de la construction de la pensée que d’une vision objective sur les véritables origines du sous-développement.

I.- La phénoménologie du sous-développement

Introduit à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le concept de sous-développement a d’abord été utilisé pour désigner les pays pauvres par opposition aux pays riches, industrialisés et développés. Cependant, en raison de sa connotation péjorative, il sera rapidement remplacé dans la littérature politique ou économique par d’autres expressions, tels : pays en voie de développement, pays dépendants, pays du tiers-monde, pays de la périphérie, pays du Sud…

Mais quel que soit l’expression utilisée, le sous-développement définit toujours un pays caractérisé par des problèmes de malnutrition ou de famine, une faible espérance de vie, un taux encore élevé d’analphabétisme, une forte croissance de la population, une dominance du secteur rural sur les autres secteurs de production et une composition déficitaire de la balance commerciale. Autant comprendre que c’est justement contre tous ces déficits matériels et humains que la communauté internationale se propose d’intervenir, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en soutenant des programmes de coopération bilatérale et multilatérale capable d’encourager le développement des États du Sud.

Le hic est que, plus de 60 ans après les expérimentations successives des politiques internationales de développement, la majorité des pays du Sud restent encore profondément captifs des entraves du sous-développement, de l’exploitation économique et de la domination politique étrangère. C’est donc dans ce climat de quasi échec de la Déclaration du droit au développement que certains États du Tiers-monde, affaiblis par l’exploitation économique latente et une domination étrangère asphyxiante, finissent, à partir de la fin des années 1990, par sombrer dans le chaos politique et une anarchie sociale aux conséquences humanitaires souvent dramatiques.

Dès lors, ces nations, affectées sans cesse par des crises institutionnelles, sociales et politiques, diminuées dans leur puissance publique et dans l’expression de leur souveraineté internationale et ayant perdu le monopole de la violence légitime au profit de groupuscules locaux d’actions violentes et d’idéologies déstabilisantes, deviennent finalement des États non fonctionnels, désignés dans la doctrine politique occidentale contemporaine par toutes sortes de substantifs dégradants, tels : les « Entités chaotiques ingouvernables », les « États en faillite », les « États assistés », les « États en difficultés », les « États à souveraineté limitée », les « États à souveraineté surveillée », les « États sous perfusion », les « États fragiles », les « États en crise », les « États en difficultés », les « États toxiques », les « Voisinages nocifs » ou encore (dans le jargon anglo-saxon), les « Collapsed State » ou « Weak State ».

Dans tous les cas, ces pseudo États, qu’ils émanent du continent africain, comme la Somalie ou le Soudan, de la sous-région latino-américaine, comme Haïti ou qu’ils soient de culture arabophone ou musulmane, comme l’Afghanistan ou l’Irak… ont malheureusement tous en commun le tort de représenter, aujourd’hui aux yeux de la communauté internationale des menaces pour la paix et la sécurité internationale.

II . – Les discours du sous-développement

Le phénomène de sous-développement qui suscite de nos jours autant d’élan de solidarité de la part des gouvernements et des ONG occidentaux a toujours fait l’objet de vifs désaccords entre les diverses écoles de pensée économique, quant à son origine et aux moyens de lutte les plus efficaces.

Nonobstant en effet les propositions théoriques non moins intéressantes qui tentèrent de justifier le phénomène du sous-développement par des intrants d’ordre culturel ou éthique, telles la théorie de « l’esprit d’entreprise », la théorie de la « recherche de la rente » ou plus simplement par une logique fataliste, comme, la théorie du « cercle vicieux de la pauvreté » ou la théorie de la « croissance appauvrissante », c’est surtout les théories libérales, tiers-mondistes et marxistes qui retiendront davantage l’attention des penseurs, qu’ils fussent de tendance réformateur ou traditionnelle. Mais le hic est que, ces trois grands courants de pensée politico-économique n’ont pas seulement la particularité de constituer la base de tout le socle doctrinaire de l’économie du développement, mais elles en forment également les grilles d’analyse les plus divisées au sujet des origines du sous-développement.

1.- La théorie occidentale ou libérale du sous-développement

  • 1.1) Les fondamentaux du discours libéral

En dépit de certaines nuances rhétoriques, les adeptes du libéralisme économique parviennent à l’idée que le développement économique est un phénomène linéaire, dépendant essentiellement des transformations qualitatives liées aux transitions historiques des facteurs économiques internes. C’est justement ce postulat de linéarité matérielle que Rostow a défini dans son ouvrage, intitulé Étapes de la croissance économique, publié en 1960.

Ainsi, pour les adeptes du libéralisme économique, le sous-développement n’est qu’un retard de développement. C’est-à-dire, une étape de production et d’échanges commerciaux primaires, fondée plus sur des rapports marchands subjectifs et des outils de travail traditionnels et obsolètes, incapables de susciter une accumulation de richesses suffisante susceptible d’inspirer une modernisation sociale, industrielle et politico-administrative de la société. A ce titre, pour les adeptes de la théorie libérale, le sous-développement demeure un phénomène entretenu essentiellement par l’environnement sociologique, économique, politique et institutionnel propre aux États sous-développés. Comme preuve, en raison du manque d’ouverture de la classe dominante et de la tendance paternaliste qui caractérise la classe dirigeante des sociétés du Tiers-monde, l’économie des États, dits sous-développés reste traditionnellement affecter par deux paradoxes structurels : l’exclusivisme de l’élite bourgeoise et l’interventionnisme étatique.

Dans le premier cas, les détenteurs des moyens de production maintiennent à la faveur du clientélisme politico-administratif ou sous la base de leur position traditionnelle dans la hiérarchie sociale, un système de monopole ou de quasi-monopole qui nuise au développement de l’entreprenariat. Évidemment, ces pratiques commerciales restrictives, en plus de jouer contre la création d’emploi, alimente par son penchant spéculatif des phénomènes d’inflation et de récession économique.

Dans le deuxième cas, dans l’idée de disposer des avantages politiques liés à la maitrise de l’appareil institutionnel, l’État monopolise, sous couvert de l’intervention de la puissance publique, l’ensemble des activités de production et de gestion des services collectifs ou des biens quasi-économiques. Mais en raison des dépenses de fonctionnement onéreuses de ces services publics et du coût élevé de la corruption au sein de l’administration publique, cette appropriation nationale des secteurs de services communautaires ou sociaux absorbe la plus grande part du budget national et réduise les possibilités d’accumulation de fonds publics d’investissements. Sans oublier qu’en plus d’exclure les opportunités de concurrence et d’innovations, à travers l’apport de capitaux privés dans la production ou la gestion des biens collectifs ou semi-marchands, l’État providence ou non gestionnaire n’arrive à assurer le fonctionnement des services publics qu’en comptant sur l’assistance de la coopération internationale, via des programmes de soutien budgétaire.

Évidemment, dans un cas comme dans l’autre, ces paradoxes structurels internes hypothèquent une bonne partie de la vie économique nationale et conduisent inévitablement à des carences de biens et de services publics ou collectifs, qui ne tarderont pas d’engendrer des insatisfactions sociales qui vont rapidement trouver échos dans les luttes pour la conquête du pouvoir, bouclant ainsi le cercle vicieux de la pauvreté et de l’instabilité politique.

1.2) Les limites du discours libéral

Pour les adeptes de l’analyse libérale, le phénomène du sous-développement est conçu comme un cercle vicieux entretenu par les relations systémiques entre les facteurs micro-économiques internes propres au pays concerné, tels : la faiblesse des revenus, la faible capacité d’épargne, le manque d’investissement, la faiblesse de la productivité et l’insuffisance de la demande. Pour rétablir donc la situation ces derniers proposent comme modalités de rattrapage du retard économique, les mêmes instruments de politique économique appliqués actuellement dans les pays développés, c’est-à-dire, l’adoption de mesures d’incitations durables à l’investissement, la recherche d’entrepreneurs dynamique susceptibles d’innover sur le plan technologique et l’insertion plus poussée dans les échanges internationaux en faisant appel aux capitaux et aux technologies des pays développés.

Malheureusement, ce modèle de politique économique ne tient pas suffisamment compte des contradictions inhérentes aux rapports économiques internationaux, en raison de la recherche aveugle du profit, empêchant l’harmonisation entre les intérêts sociaux des États en voie de développement et les objectifs marchands des entreprises multinationales ou des puissances étrangères. Dans le même sens, ce discours libéral oublie trop vite que les structures sociales et l’environnement économique des pays en voie de développement (PED) au XXIe siècle ne sont pas similaires à ceux qui caractérisaient les pays européens du XVIIIe. Puisqu’en réalité, les PED ne sont pas seulement en retard, par rapport aux pays industrialisés, ils en sont carrément différents à plusieurs points de vue.

Tout ceci pour dire que les conditions d’un démarrage économique pour les pays sous-développés sont aujourd’hui plus difficiles à réunir qu’au XIXe siècle ; et ces difficultés vont se renforcer encore davantage au fur et à mesure que s’affirment les règles de la mondialisation et que les pays développés modèlent le marché mondial et le droit international, à la faveur de leur quasi contrôle du système international.

Évidemment si on ajoute aux conditions macro-économiques défavorables, mentionnées plus haut, les exigences de la sécurité, la nécessité de la stabilité politique et l’existence d’un cadre juridique approprié, on peut facilement comprendre que les États dites en faillite sont loin de pouvoir se positionner dans la logique compétitive de l’économie monde ou au mieux, d’attirer les investissements directs étrangers et de créer du même coup dans l’économie un effet d’entrainement, capable de générer entre les facteurs : investissements, production, consommation, réinvestissements et innovation technologique, un « cycle vertueux » pouvant susciter une croissance soutenue et un développement économique linéaire, suivant le schéma de Rostow.

Au regard donc des particularités structurelles et sociopolitiques défavorables des États en crise, le modèle de développement linéaire proposé par la théorie économique libérale n’est ni accessible, ni scientifiquement transposable aux États fragiles. D’ailleurs, le temps que ces pays mettront pour accumuler l’épargne et le savoir-faire nécessaires, aux fins d’être plus compétitifs dans le commerce international, les États occidentaux auront creusé davantage l’écart et les techniques auront encore évolué et seront devenues plus coûteuses et plus complexes.


*Me. James Boyard est diplômé de l’ENA et de la Sorbonne. Il est enseignant-chercheurs en Relations internationales. jboyard@yahoo.fr

Reflets Magazine September-November 2017 – Page 5, 6, 42 : https://reflets.online/wp-content/uploads/2017/10/RefletsMagSeptNov2017.pdf