Le Fantasme De l’Identité Nationale
Par Garry Klang
Si j’ai bonne mémoire, un ministre français, dont j’oublie le nom, d’abord socialiste, puis passé dans le camp de la droite, lançait, très sûr de lui, il y a quelques années, un grand débat sur l’identité nationale. Il le faisait sous quelle identité : la gauche ou bien la droite ? Il était appuyé par un grand nombre d’intellectuels, toujours les mêmes en rangs serrés, et notamment le directeur d’un célèbre hebdomadaire dit de gauche qu’on n’attendait pas là. Au lieu de parler des vrais problèmes, de pauvreté, de précarité, d’emploi, on discutait d’identité. Qui est français ?
Laissant ainsi supposer qu’il existe une identité nationale magique pouvant rendre homogène et sans doute heureux un groupe d’individus malgré leurs différences. Aussi ridicule que l’Église discutant du sexe des anges au moyen âge. On voit pourquoi, aujourd’hui, les vieux partis ont explosé. Le jeune Macron a tout compris.
Liberté, égalité, identité… foutaises !
Du côté de ma terre natale, les nationalistes haïtiens, aussi sûrs d’eux que le ministre français, vous expliqueront qui est haïtien et qui ne l’est pas.
Comme s’il existait une essence haïtienne ou une essence française.
Ces stupidités m’auraient fait rire s’il n’y avait l’intention malveillante d’exclure ceux qui n’entrent pas dans ce moule et de faire en sorte que l’immigrant oublie toutes ses racines. Car c’est bien d’un moule qu’il s’agit, une forme décidée à l’avance et dans laquelle on voudrait introduire de force et modeler tous ceux qui vivent dans un pays ou en possèdent la nationalité.
Or imposer une identité, c’est vouloir mettre de l’ordre dans ce qui n’en a pas.
Diderot : « Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant. »
Sois comme moi, clame le ministre passé à droite et dont je veux oublier le nom. On voit où mène pareille sottise : Vouloir emprisonner dans un carcan ce qui est par définition mouvant et indéfinissable.
Certes, il est clair qu’il existe des traits communs aux gens d’un même pays. Il me suffit, par exemple, de voir quelqu’un marcher dans les rues de Montréal pour savoir s’il s’agit d’un Haïtien. Quelque chose dans les gestes, le rythme, et puis surtout l’accent. C’est lui d’abord qui définit ceux qui viennent d’un même lieu. En débarquant en France, même un aveugle sait où il est.
L’accent et aussi les mots et les expressions à la mode : j’veux dire, bling-bling, on va dire, il imprime…
Tout cela, bien sûr, définit des points communs, mais ces mêmes points vont changer, on va dire, selon qu’il s’agit d’un jeune des banlieues, d’un banquier du 16e, d’un écrivain germanopratin ou d’un truand de Pigalle. Ces tics de langage et cet accent seront également différents, selon qu’on se trouve à Paris, en Bretagne, en Lorraine ou dans le Midi. Les ressemblances commencent déjà à s’effriter.
Mais il y a plus. Pour peu qu’on analyse de près le concept d’identité, on se rend compte que les points communs sont superficiels.
En un mot, cette identité, dont on nous rebat l’ouïe, est un mensonge. Car enfin, d’un point de vue national, mis à part leur accent, qu’est-ce qui rapproche un Le Pen d’un Macron ? Un Bayrou d’un Mélenchon ? Rien. Quel point commun entre Drieu la Rochelle et Jean Moulin ? Tous sont du même pays et parlent la même langue, mais ils sont plus éloignés les uns des autres que de beaucoup d’étrangers avec lesquels ils pourraient nouer des liens solides.
Que veut donc dire alors être Français ? Être Haïtien ? Que signifie l’identité nationale ? Rien.
Du côté américain, j’ai entendu un soir une brave républicaine, ruisselante de bonne conscience, déclarer sur CNN, fière d’elle et d’un air de dégoût, que le Canada était un pays socialiste parce qu’il avait le même système de santé pour les riches et les pauvres. Cette dame riche au cœur pauvre n’avait pas compris que la santé est un droit et non un privilège. Tout comme l’éducation.
Quel point commun y a-t-il entre elle et un mec des bas-fonds de Detroit, lequel ne peut pas se faire soigner s’il est malade et habite un quartier tellement dangereux qu’il a peur de sortir même en plein jour ? Il n’y a aucun lien entre eux.
Beaucoup d’Haïtiens, de leur côté, vénèrent Dessalines, un des pères de la patrie, alors que d’autres le détestent.
Pétion est haï par celui-là qui lui préfère Toussaint Louverture ou bien Christophe, le monarque du Nord.
Qu’est-ce qui vraiment uni ces hommes ? Va savoir.
De quelle identité s’agit-il pour le ministre français et tous les défenseurs de cette notion absconse ?
Elle est superficielle. En profondeur, personne ne se rejoint, et sans doute est-ce là qu’il faudrait mener le combat.
Essayer de rapprocher des citoyens différents par leurs idées, leur religion ou leur mentalité, et qui, au fond, n’ont rien de commun, rien à se dire.
L’identité nationale n’est qu’un trompe-l’œil. Jamais l’histoire des preux Gaulois ne rapprochera des gens qui viennent du monde entier. L’un aime Napoléon, l’autre le déteste. X admire Louis XVI, mais pas Robespierre.
Mitterrand et non de Gaulle. Rien ne les unit vraiment. D’ailleurs, que fera-t-on des Français de l’étranger, nés dans un autre pays qu’ils aiment autant que la France ? Il est clair que ce débat est stupide et qu’il faut arrêter de vouloir à tout prix définir une identité nationale, pour la simple et bonne raison qu’elle n’existe pas.
Il n’y a pas d’identité nationale, mais une identité humaine, celle des lointaines origines : Nous savons maintenant que nous sommes tous africains, donc tous frères et c’est cela qui importe. Mais cette vérité, certains hurluberlus ne voudront jamais l’entendre ! Ils continueront à nous parler, pour le stigmatiser, de l’étranger, de l’autre, de l’immigrant, au lieu de se dire : L’autre, c’est moi. Il n’y a pas de races, pas de différences fondamentales entre les humains. Frères humains, disait Villon. Nous sommes tous frères. Essayons plutôt de nous entendre, au lieu de diviser les hommes en vrais Français, faux Français, vrais Haïtiens, faux Haïtiens. Ce sont là des conneries de nationalistes crispés, de politiciens pervers et de faux intellectuels.
Il n’y a ni vrai Français, ni vrai Haïtien, il n’y a que des hommes et des femmes, voués à la même mort dans une égalité parfaite.
L’identité se trouve dans l’être et non dans la nation.
Reflets Magazine September-November 2017 – Page 14, 42 https://reflets.online/wp-content/uploads/2017/10/RefletsMagSeptNov2017.pdf