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LA COMMUNAUTÉ HAÏTIENNE ET LA SPIRITUALITÉ

Entamer la question de la spiritualité depuis quelques temps ressemble de plus en plus à une simple question du marché des auditoires. Plus que les miracles, les guérisons ce sont de préférence les notions de compétition et d’adversité qui se sont installées. Dans un autre domaine d’observation, on dirait que les luttes et le sexe ont évacués la notion de paix et d’amour. La bénédiction ou la sanctification se mesure désormais sur la taille de l’auditoire, d’où l’intérêt des leaders spirituels d’attirer, même à coup d’artifices et de mensonges, le plus de monde que possible. Tout le monde s’interroge et s’inquiète sur la finalité de cette décadence spirituelle. Le modernisme n’a guère soulagé en ce sens, au contraire. La communauté haïtienne du Québec n’y échappe pas elle non plus, c’est un constat sociétal. Si le Québec, une des sociétés d’accueil pour les Haïtiens, croyait avoir partiellement résolu ce problème, il n’a pas réussi à se mettre à l’abri des revirements de situation. De plus il influence aussi sa communauté haïtienne, dans son approche athéisme, dans son libéralisme, dans sa rhétorique modernisme: pas Dieu mais la science. Par contre elle couve de petites faiblesses dues selon certains spécialistes du domaine, à un écart spirituel qui le fragilise. Le Québec nourrit un amour particulier pour les sectes nouvelles (l’affaire Jouret en dit long) et la modernisation des coutumes orientales: la chiromancie, la cartomancie, etc. elle flirte même avec les scientistes. Confrontée à toutes ces influences, qu’en est-il réellement de la communauté haïtienne du Québec, jusqu’où s’étendent les frontières.

Issue de différentes cultures et, en majorité vodouisante, la communauté haïtienne du Québec vit dans une large proportion, dans l’attente d’un jour meilleur, d’une amélioration économique. Et, de là toutes les avenues sont ouvertes. Le protestantisme a déjà vaincu le catholicisme sur ce terrain mais le vaudou garde une place très convoitée par les autres. On y va de toutes les promesses dans le but de dominer ou de s’accaparer de ce segment du marché des auditoires. On parle des prouesses de maître agwé, des largesses d’erzulie blanche ou de l’insatiabilité des trois femmes d’Égypte. Les Francs-maçons s’en donnent à cœur joie dans leurs incantations, leurs exorcises ou leur voyages mystiques. Les Musulmans promettent pour certaines prouesses, dix vierges. La fidélité de l’Éternel Dieu est même dans les proverbes: bon Dieu bon. Phénomène surprenant, certains se donnent une double garantie: Dieu en avant et les autres en réserve. La prospérité économique espérée n’arrive pas nécessairement sinon qu’avec une bonne formation académique. Si le syncrétisme avait déjà investi le milieu vodouisant, aujourd’hui certaines églises intègrent et parfois assimilent des rituels du vaudou dans leur culte. On parle du rituel Rada plus culturel que le guerrier Péthro. Pourtant l’un se dit à l’opposé de l’autre. Pourquoi donc ce travestissement spirituel ?

Si certains défendent la présence du syncrétisme dans le vaudou, ils remontent jusqu’à la période esclavagiste pour expliquer le besoin de distraire la vigilance du maître blanc qui imposait sa religion. Par contre, l’indépendance d’Haïti n’a pas apporter grand changement, cette pratique existe encore aujourd’hui. Plusieurs commerces haïtiens vendent les portraits de St. Jacques le majeur, de la vierge Marie … etc. comme pièces maîtresses dans la quincaille de service. Un commerce d’image. Le prêtre vaudou Joe Coma  l’affiche ouvertement dans son hounfort (laboratoire), fait curieux, il recevait des jeunes filles issues du milieu protestant, qui venaient se faire traiter pour des maladies dites surnaturelles. Certains pasteurs du milieu montréalais fréquentaient son cabinet, à la recherche de plus de pouvoir. Une porte spéciale leur est réservée afin d’éviter les rencontres gênantes. D’un  autre côté, l’ancien prêtre catholique Joseph Augustin réclame dans son livre de meilleurs sentiments pour les figures du vaudou. Fondamentalement, le christianisme et le vaudou n’auraient rien à partager, même pas les fidèles alors comment expliquer cette mise en scène. Dans son aspect social, les mariages mixtes sont monnaie courante malgré les notes discordantes. La complexité de la spiritualité des Haïtiens dépasse beaucoup de spécialistes du domaine de la foi qui avouent ne rien comprendre. Aujourd’hui, le phénomène razin’n zantraye (retour aux sources) remonte encore plus loin dans l’histoire pour justifier un revirement sans précédent d’une démarche antérieure baptisée réjété (conversion, renoncement) entreprise par l’église chrétienne. Ce courant historique n’est pas encore bien définie, elle se bâti. On rencontre plusieurs thèses dont celle de l’Égypte ancienne soutenue par des mystiques comme le grand peintre Houmano Eustache dont la palette flirte carrément avec l’au-delà Noir. C’est dans cette mouvance qu’il crée de véritables chefs d’œuvres pour lesquels il évoque le soutien d’une main invisible qui module son inspiration. In memorian, une toile peinte pour le nouveau millénaire disait long à ce sujet. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de Gabriel G. Marquez, écrivain mexicain qui disait avoir forgé une belle histoire mexicaine avant même qu’elle n’exista. Il faut forger l’histoire disait-il! Où en sommes-nous réellement ?

Les Haïtiens du Québec sont aussi musulmans. Plus proche du mouvement Black Moslim des États Unis d’Amérique, ce chapitre se cherche de préférence dans le sillon de la foi en l’homme, l’homme couleur de terre. Ils sont aussi francs-maçons, une société dite philosophique et philanthropique qui se partage entre l’approche protestantisme et vodouesque. Un seul haïtien, mis à part les liens inter-religieux, s’est manifesté dans le judaïsme. Si la convergence de tous ces mouvements se tend vers les langues anciennes à l’image du latin dans le catholicisme, de l’Hébreux ancien, aucun effort sérieux n’est encore déployé pour assimiler la spiritualité dans les langues ancestrales africaines ceci malgré la ressemblance évidente avec les Béninois. Curieusement, le rapprochement béninois du chapitre montréalais est une quête d’authenticité mais les ténors du mouvement prétendent déjà l’authenticité malgré une deuxième quête égyptienne. L’attitude des chrétiens qui sont en quête de la source est similaire mais, ils se la revendiquent exclusivement. Le mot humilité est évacué.

Comment faire la part des choses dans ce domaine au sein de la communauté haïtienne du Québec, fille légitime de la république de l’imaginaire. Une république où le domaine du réel est relatif aux intérêts personnels. Entre temps, les enfants naissent, grandissent et apprennent à travers l’éducation qui leur est transmise, en apparence très spirituelle. Ce marché des auditoires est loin d’être une pratique menacé, il persiste de plus en plus.

Nous concluons donc avec cette formulation : à qui profite le jeu ?

Dan Albertini


Cet article est tiré des archives : Chronique Socio-Politique ; Journal PAMH de Montréal ISSN1496-077X, Page 8. Volume 2 numéro 15 ; mars-avril 2002. Archives situées à la BANQ, rue Berri